Alors que le jeu vidéo connaît une crise identitaire avec des jeux de plus en plus beaux mais avec de moins en moins d'intérêt au dire de certains, de nombreux joueurs se tournent vers d'anciens hits qui les ont fait vibrer il y a quelques années. C'est ainsi que "fleurissent" les sites d'abandonware permettant de retrouver ces vénérables "papy" du jeu vidéo, au charme suranné mais encore bien réel malgré des graphismes parfois sommaires voir totalement défaillants.

Mais qu'est ce que l'abandonware exactement ?
Le principe de l'abandonware est de proposer gratuitement des jeux vidéo que leurs créateurs/éditeurs ont arrêté de soutenir et qui sont donc devenus introuvables dans le commerce. Il s'agit principalement de donner un accès aux jeux mais aussi de permettre aux fans de partager leur passion pour ces jeux (en mettant en ligne les manuels, solutions, musiques, sauvegardes, magazines et autres gadgets indispensables).

Voici l'interview du fondateur du site lost treasures qui est un des piliers de l'abandonware :

Creajeux : Pourriez vous vous présenter rapidement ?

Je m’appelle Frédéric, j’ai 24 ans et j’habite à Paris.
J’ai eu en 2003 un DEA de robotique et je travaille actuellement à Matignon, au service informatique du premier ministre.

J’ai eu la chance d’avoir un ordinateur à la maison depuis 1986 et je suis rapidement devenu fan de jeux vidéo. En 1996, je me suis pris une connexion Internet et en 1999 j’ai commencé à réaliser mes premiers sites.

J’ai fait un site spécialisé dans les jeux Lankhor, ainsi qu’un site plus généraliste (Lost Treasures Fr) sur les abandonwares en collaboration avec des amis.
Avec ces mêmes amis, nous avons formé en 2003 une association de loi 1901 qui a pour objectif la sauvegarde des anciens jeux. A noter qu’en 2003, l’association a acheté un serveur web, ce qui a permis de réaliser de nouveaux sites consacrés à l’abandonware et tous ces sites forment une sorte de réseau de l’abandonware.

Creajeux : Peux tu me parler de ce réseau de sites ?

Il y a tout d’abord Lost Treasures Fr (http://www.abandonware-france.org) qui est le site principal du réseau et qui est un site généraliste sur les abandonwares. Par manque de temps, j’ai arrêté de m’occuper de ce site en 2004 mais les autres membres continuent à très bien l’entretenir.

On trouve ensuite les sites spécialisés dans les jeux d’un éditeur.
Il y a mon site Lankhor.net consacré aux jeux Lankhor.
Il y a le site Loriciel.org consacré aux jeux Loriciel.
Et enfin, il y a le site Delphine-software.net consacré aux jeux Delphine.

On trouve après les sites consacrés à un thème spécialisé.
Il y a mon site abandonware-magazines.org consacré aux anciens magazines.
Il y a aussi mon site abandonware-definition.org consacré à la définition de l’abandonware.
Il y a également, abandonware-manuels.org qui est spécialisé dans les manuels des vieux jeux.
Le site atp-fr.com s’occupe lui de traduire en français des anciens jeux.
Le site livres.abandonware-france.org propose des livres inspirés d’anciens jeux vidéo.
FreeOldies.com est un annuaire permettant de retrouver des abandonwares.
Le site Oldon.org est le site de l’association (le site est actuellement en construction).
Abandonware-forums.org est le forum de tous les sites.

Le réseau comprend donc 12 sites et je m’occupe de 3 de ces sites.

L’abandonware est t’il vraiment légal ?

Pour le moment, l’abandonware n’est pas encore légal mais j’espère qu’il le sera un jour.
En dehors de certains éditeurs/développeurs qui ont donné leur accord pour que leurs jeux soit gratuitement mis à la disposition des joueurs, les autres se contentent de tolérer les sites d’abandonware.

Vous avez commencé à travailler sur la question de l’abandonware depuis 2002, comment ce sont passés vos premiers rapports avec les éditeurs, quels a été leur réaction par rapport à cet initiative ?

Avant 2002, la définition de l’abandonware se contentait de dire qu’un jeu devenait abandonware au bout de 5 ans et cela ne me convenait pas.
Avec des acteurs du jeu vidéo (webmasters, journalistes, éditeurs et développeurs), nous avons réfléchi à ce qui pourrait être une bonne définition. L’objectif étant de prendre en compte les remarques des éditeurs/développeurs, de sorte qu’un jeu abandonware ne puisse pas leur nuire.

Depuis la première définition de l’abandonware, il y a eu plusieurs évolutions et il y en aura encore. La définition de l’abandonware n’est donc pas figée.

C’est en 2002 que j’avais contacté les éditeurs pour avoir leur avis sur l’abandonware et je trouve que les entretiens se sont plutôt bien passés, bien qu’il y ait peu d’éditeurs ayant donné leur accord pour que leurs anciens jeux soient officiellement déclarés comme abandonwares.

Depuis 2002, il y a eu beaucoup de changements : la définition de l’abandonware a évolué, nous avons fondé une association respectable (nous avons par exemple été invités à un colloque à la Bibliothèque Nationale de France pour parler de la sauvegarde des anciens jeux), la presse a fait plusieurs articles positifs sur l’abandonware et enfin, plusieurs éditeurs commencent à proposer gratuitement au téléchargement leurs anciens jeux.
J’ai donc l’intention de contacter à nouveau les éditeurs pour avoir leur avis sur l’abandonware et j’espère obtenir des réponses plus positives qu’en 2002.
Je pense faire les démarches pour contacter les éditeurs au début de l’année 2005, le temps de refaire entièrement l’interface du site de la définition.

Qu’est ce qui vous a poussé à vous intéresser aux abandonwares ?

Mon genre de jeu favori est le jeu d’aventure et malheureusement, ce genre de jeu a été délaissé au profit des FPS et il y a très peu de bons jeux qui sortent chaque année.
Comme dans le commerce, je ne trouvais pas de jeu qui me convenait, je me suis dit que j’allais essayer de retrouver un jeu de mon enfance qui m’avait donné très envie d’y jouer mais que pour des raisons financières, je n’avais pas pu me procurer à l’époque. C’est grâce à une connaissance sur Internet que j’ai pu retrouver le jeu que je cherchais. Je me suis alors dit que je n’étais sans doute pas le seul à rechercher des anciens jeux devenus introuvables et c’est pour cela que j’ai décidé de faire un site sur les abandonwares.

Si je joue aux anciens jeux d’aventures, c’est que je trouve réellement que les scénarios sont souvent très bons car comme les développeurs étaient limités au niveau de la technique, ils étaient obligés d’avoir un très bon scénario pour compenser.
Pour ce qui est des autres types de jeux (simulation, action, etc..), je préfère généralement les jeux actuels. Je pense que seul la nostalgie peut pousser certaines personnes à rejouer à des jeux comme Flight Simulator 1 alors que dans le commerce on trouve des jeux bien mieux faits.
Bien que je ne m’intéresse qu’aux jeux d’aventure, j’essaye cependant de conserver l’ensemble des anciens jeux vidéo que je peux trouver dans un but de conservation.

Aujourd’hui ces rapports ont-ils évolués, les éditeurs sont ils plus coopératifs ?

Cela fait longtemps que nous n’avons pas eu de contact avec les éditeurs mais je pense prendre contact avec eux début 2005. J’espère qu’ils seront alors plus coopératifs.

Dans d’importantes revues informatiques consacrées aux jeux vidéo (Joystick, Génération 4, etc..) il y a eu des articles sur Lost Treasures Fr et je pense donc que tous les éditeurs ont aujourd’hui connaissance de l’existence de sites d’abandonwares et le fait qu’ils n’aient pas demandé le retrait de leurs jeux est un premier bon signe positif qui montre qu’ils tolèrent déjà le principe de l’abandonware.

Vous a t’il déjà été demandé de retirez un jeu de votre site, auquel cas, les choses se sont-elles biens passées avec les éditeurs ?

Oui, cela est arrivé, surtout au commencement du site. Il y a eu tout d’abord LucasArts, puis un autre éditeur dont j’ai oublié le nom.
L’éditeur nous a envoyé un mail demandant le retrait des jeux dont il possède les droits et nous avons suite à cela retiré le jeu.
Je trouve que cela s’est à chaque fois relativement bien passé puisqu’il n’y a pas eu de suites judiciaires.

Quand nous avions eu ces problèmes, c’était à l’époque où la définition de l’abandonware se limitait à dire que le jeu devait avoir au moins 5 ans. Si à l’époque nous avions utilisé la définition actuelle de l’abandonware, les jeux que nous avons retirés n’auraient jamais dû être mis en ligne. La nouvelle définition de l’abandonware indique qu’un jeu ne doit plus être commercialisé pour être considéré comme abandonware, mais LucasArts a l’habitude de ressortir ses premiers jeux d’aventure dans des compilations et donc, il ne s’agit pas de jeux abandonwares.

Penser vous que les éditeurs vont à l’avenir s’ouvrir davantage encore à la question des abandonwares, ou est ce que certains sont vraiment définitivement opposés aux abandonwares ? Et si oui, pourquoi ?

Je pense que les éditeurs vont s’ouvrir davantage à la question des abandonwares.
Le seul éditeur à ma connaissance qui déclare s’opposer fortement au principe de l’abandonware pour ses jeux est LucasArts mais en même temps, ils ont autorisé récemment la libre distribution d’éditions refaites de certains de leurs jeux par des fans.

Est-ce que la notion de sauvegarde d’un patrimoine culturel est bien comprise par vos différents partenaires ?

Non, pas vraiment.
En France, le jeu vidéo n’est pas reconnu comme une œuvre culturelle mais juste comme étant un programme informatique.

Cependant, il y a quand même des mesures de prises pour permettre la conservation de ce patrimoine. A la Bibliothèque Nationale de France par exemple, ils reçoivent une copie de chaque jeu qui sort en France. Ils ont quand même un souci pour conserver ce patrimoine car le support magnétique des premiers jeux les rend fragiles.

N’avez-vous pas l’impression que l’aspect patrimonial et culturel de la conservation des jeux anciens est encore mal comprise et très largement prise à la légère ?

Il est certain qu’il y aurait moyen de faire beaucoup mieux que ce qui est fait aujourd’hui.
Je pense qu’il faudrait une réelle volonté politique pour faire évoluer les choses mais le problème est que nos hommes politiques connaissent mal l’informatique et encore moins bien le monde du jeu vidéo. Je pense que quand nous aurons des hommes politiques plus jeunes, la situation évoluera peut être dans le bon sens.

N’est ce pas une cause perdue, dans la mesure ou, par exemple il est parfois très difficile de faire marcher des jeux de quelques années (4 ou 5 ans) parce que les nouveaux systèmes d’exploitation ne sont pas pris en comptes. Les jeux produits dans les années 90 fonctionneront ils encore en 2030 ?

Cela est effectivement un réel problème.
J’ai moi-même déjà rencontré ce genre de problème avec plusieurs jeux sortis en 1998 et qui fonctionnaient très bien avec Windows 98 mais que je n’ai plus réussi à faire fonctionner quelques années plus tard quand je suis passé sous Windows 2000.
Quand on a de la chance, on peut espérer qu’en cas de souci avec le jeu, l’éditeur sorte un patch correctif mais cela n’est pas toujours le cas.

La solution viendra à mon avis des émulateurs.
Il existe déjà DOSBOX qui permet d’émuler le MS-DOS et ainsi de faire tourner la quasi-totalité des jeux dos.
Shinobi qui a déjà réalisé une très bonne disquette de boot travaille actuellement à la réalisation d’un émulateur pour faire tourner Windows 95 ou Windows 98.
On peut donc espérer que dans 30 ans, il existera des émulateurs permettant de faire tourner tous les jeux de notre jeunesse.


Un autre problème est lié au support des jeux car pour prendre l’exemple des jeux des débuts des années 90, ceux ci étaient sur disquettes 3"1/2 et je doute qu’en 2030, les ordinateurs disposent de lecteurs capables de lire de tels supports. Une solution simple consiste à copier ses disquettes sur des supports plus récents (CD ou DVD) mais comme les jeux sont souvent protégés contre la copie, cela n’est pas toujours possible.

N’y aurait il pas une réelle nécessité de créer un organisme spécialisé dans la sauvegarde de ce patrimoine ? On peut penser aux musés nationaux, qui s’occupent de conserver les œuvres des artistes, à quand un conservatoire national pour le jeu vidéo ?

Je pense que cela existera un jour où l’autre.
Je pense qu’un tel projet serait possible si le jeu vidéo avait le statut d’œuvre culturelle car alors, un musée du jeu vidéo pourrait bénéficier de l’aide de l’état.


Pouvez vous à ce jour faire une évaluation du nombre de jeux qui tombent dans la catégorie abandonware ?

Si l’on parle d’abandonwares légaux (c'est-à-dire d’anciens jeux commerciaux dont les éditeurs ont officiellement autorisé leur libre téléchargement), il doit y en avoir environ 100.
Il y a aussi les anciens jeux dont les éditeurs n’ont jamais dit qu’il était possible de les télécharger gratuitement mais dont on sait que les éditeurs tolèrent la libre circulation de leurs œuvres et en conséquence, on peut considérer leurs jeux comme abandonwares. On compte dans ce cas, environ 2000 jeux.

Quel est le nombre de visite de votre site ? pouvez vous évaluer combien de download on eu lieu sur votre site ?

Lost Treasures Fr fait plus ou moins 8000 visiteurs uniques chaque jour.
Je n’ai aucune idée du nombre de téléchargements depuis la création du site car nous n’avons pas toujours eu de bons outils statistiques mais si ça peut vous donner une idée, il y a eu depuis le début du mois 70000 téléchargements de jeux .

Quel est l’écho que rencontre votre démarche auprès du public et des passionnés ?

L’écho est plutôt bon.
J’ai été surpris du nombre de visiteurs qui nous écrivent pour nous proposer de participer bénévolement au contenu du site.
RyF qui a participé à la création de Lost Treasures Fr et qui est aussi le président de notre association a créé un site consacré à la traduction en français d’anciens jeux et beaucoup de monde participe à ce projet. A noter que RyF est un réel collectionneur de tout ce qui touche au jeu vidéo et il a chez lui plusieurs milliers de jeux vidéo, ainsi que quasiment toutes les consoles sorties. Il aurait assez de matériel pour ouvrir un musée.

Le site consacré aux anciens magazines rencontre lui aussi un grand succès. Ce projet rencontre un réel succès et beaucoup de passionnés ont numérisé leurs magazines.

Nous disposons aussi d’un forum relativement actif avec de nombreuses discussions sur les anciens jeux vidéo. Je pense que l’on peut même parler de communauté de l’abandonware. Le fait d’avoir de bons échos du public nous motive dans notre travail.
S’occuper du serveur et des sites nous prend beaucoup de temps et d’argent (la publicité ne suffit pas toujours à financer le serveur qui nous coûte très cher), donc si nous n’avions pas de bons échos du public, je pense que nous aurions arrêté depuis longtemps d’essayer de faire partager notre passion des anciens jeux.

Si vous aviez une trilogie des meilleurs abandonware, quelle serait elle ?

Comme je suis très jeu d’aventure, je citerai donc 3 jeux orientés aventure.
Alone In The Dark
Beneath a steel sky
Simon the Sorcerer
Pour les deux derniers jeux, je recommande l’utilisation de ScummVM.


Merci pour votre participation.


Merci à vous !

Quelques liens utiles :
Le réseau abandonware :
http://www.abandonware-france.org/
Lankhor.net
Loriciel.org
Delphine-software.net
abandonware-magazines.org
abandonware-definition.org
abandonware-manuels.org
atp-fr.com
livres.abandonware-france.org
FreeOldies.com
Abandonware-forums.org

Autre :
Sur la convention vieumikro à toulouse :
http://www.01net.com/article/251282.html

 

Sujet : Tour d'horizon de L'abandonware Date : 15/09/04
Interlocuteur : Frédéric 24 ans fondateur de Lost Treasures Fr site d'abandonware