18.11.2002
L'institution se penche sur le patrimoine vidéoludique
A la Bibliothèque Nationale de France, vendredi 15 novembre, une
journée d'études intitulée : "jeux vidéo, cultures et patrimoine"
proposait quatre tables rondes sur des questions relatives à la création
et la conservation des jeux vidéo. La toute première intitulée "Des
espaces de création" accueillait notamment Benoît Sokal (l'Amerzone et
Sybéria), un artiste considéré par beaucoup de professionnels comme l'un
des rares auteurs français de jeux vidéo. La seconde table ronde animée
par Ghislaine Azémard de l'Université Paris VIII était consacrée aux
parcours éditoriaux français et donnait la parole à Mathieu Saint-Denis
(ex responsable Marketing de Cryo) et le "directeur marketing" du label
Chman (développeur de jeux on line en flash notamment). Au cours de
cette session, Antoine Villette du studio Darkworks (Alone in the dark
IV) a eu l'occasion de faire un compte rendu à chaud de l'entrevue qu'il
venait d'avoir avec Jean-Pierre Raffarin, qui rendait visite le
matin-même au studio parisien. Face à la crise économique majeure
traversée par le secteur du jeu vidéo en France depuis deux ans, et qui a
vu la majorité des studios de création disparaître, le premier Ministre
interpellé par l'APOM, les divers syndicats d'éditeurs, mais encore par
une lettre ouverte du créateur David Cage (Quantic), venait annoncer
des premières mesures portant sur la réduction "éventuelle" de la TVA
sur les jeux, l'augmentation du fonds d'aide à la création multimédia
(FAEM) en 2003, l'expérimentation d'une technopole régionale dédiée au
jeu vidéo. L'après-midi, la première table ronde était consacrée au
phénomène de société que constitue le jeu vidéo, en présence de deux
universitaires de l'Université de Lille, d'Yves Eudes du quotidien le
Monde, du psychanalyste Serge Tisseron et enfin de Stéphane Natkin (CNAM
et Dess jeux vidéo) animateur de cette session. Des questions relatives
aux jeux massivement multi-joueurs ont été abordées dans une volonté
plutôt unanime de sortir des clichés sur ces pratiques. Les intervenants
et les auditeurs ont pu disserter sur la réalité ou le mythe de la
"french touch" à propos de laquelle le représentant de Chman déclarait
le matin même : "Moi la french touch je ne sais pas ce que c'est, nous
avons une culture plutôt japanisante".
La dernière table ronde était donc consacrée au patrimoine vidéoludique,
et avait pour intervenants Alain Le Diberder, Joëlle Garcia (BNF), Yann
R. Fernandez du site Lost Treasures, et René Spéranza président de
Silicium. Au cours de ce débat Alain Le Diberder est revenu sur sa
nomenclature des jeux vidéo, mise au point il y a onze ans de cela, dans
l'ouvrage rédigé avec son frère : Qui a peur des jeux vidéo ? (La
découverte). Découpée en trois champs : action, réflexion, simulation,
cette nomenclature, aurait selon Alain Le Diberder résisté au temps et à
la critique. Et ce, a contrario des classifications professionnelles ou
commerciales utilisant des néologismes ou des termes alambiqués passant
de mode à chaque changement technique. Le pdg de CLVE (Communication
and Life in Virtual Environnement) a ainsi appelé les chercheurs à se
pencher sur la question des jeux, en précisant que seule une analyse de
ces objets pouvait permettre d'établir des nomenclatures pérennes, et
utiles tant aux institutions qu'aux professionnels. Pour lui ces travaux
passent nécessairement par le fait de se poser des questions basiques
mais néanmoins essentielles : "Qu'est-ce qu'un jeu ? Où ça s'arrête où
ça commence ?" A. Le Diberder fait le constate au passage de toute une
série d'idées reçues sur les pratiques vidéoludiques. "Les jeux auxquels
on joue le plus ne sont pas forcément ceux que l'on achète, ou dont on
parle le plus. Ainsi Counter strike aurait au moins le rang de 188 si
l'on devait faire un classement". L'ancien directeur des nouveaux
programmes de Canal + rappelle que la Cinémathèque française s'est posée
la question de la classification et des genres, il fut un temps, en
proposant des définitions certes très vagues, mais néanmoins nécessaires
aujourd'hui. Il souligne enfin que la société française traite encore
très mal les jeux vidéo, faisant référence en particulier à la récente
commission Kriegel proposant une censure des jeux violents, une
commission de spécialistes n'ayant à première vue pas pris la peine de
regarder ces jeux, et de consulter les professionnels du secteur. Pour
A. Le Diberder ainsi, "la meilleure façon de défendre cette culture est
d'en parler, de la décrire", ce qui passe alors par la question de leur
conservation. De même pour René Spéranza "Pour les plus anciens systèmes
on peut se dire que l'intérêt est relatif, mais d'un autre côté ces
jeux ont eu le mérite d'exister. Ils ont intéressé des gens".
Au cours de cette table ronde, Joëlle Garcia, conservatrice au
département de l'audiovisuel de la BNF, a pu faire état du fonds de jeux
vidéo de la Bibliothèque, se montant au minimum à 3500 jeux toutes
plateformes confondues, en grande partie issus du dépôt légal multimédia
de 1992, obligeant les éditeurs à déposer quelques exemplaires de leurs
titres après parution.
Dans sa foulée Yann Fernandez, responsable de Lost Treasures s'est fait
l'écho du phénomène encore peu connu dans les milieux culturels de
l'Abandonware, ces sites récoltant des jeux sur PC, et proposant sous
forme d'émulation sur Internet des centaines de titres en
téléchargement. Yann Fernandez rappelle que le mouvement a démarré il y a
un peu plus de cinq ans, et s'est par la suite généralisé, en
particulier en France. Ainsi sur le site Lost Treasures plusieurs
millions de téléchargements par mois sont effectués, à partir d'un fonds
de près de cinq cents titres. Y. Fernandez est revenu sur les relations
ambiguës pouvant exister à ce jour avec les ayant-droits. Certains ne
seraient plus identifiables, d'autres ne sauraient même pas qu'ils
possèdent les droits de certains titres, et d'autres enfin demandent
parfois à ce que le titre soit retiré du site de l'exploitant amateur,
mais ne proposent généralement aucune politique de distribution ou de
réédition par la suite. Le responsable de Lost Treasures évoque ainsi
l'idée de créer une structure dédiée aux questions juridiques et aux
relations administratives avec les éditeurs.
Pour finir, René Spéranza après avoir présenté l'association Silicium,
créée en 1994 pour la conservation des micro-ordinateurs, a exposé un
certain nombre de questions concrètes sur la conservation des jeux. René
Spéranza fait remarquer que les machines et les jeux s'abîment
facilement et seront voués à disparaître dans les années à venir s'ils
ne sont pas transférés sur des supports pérennes ou conservés dans des
conditions plus optimales. Le président de Silicium a ainsi pu appeler
les éditeurs et le législateur à faire tomber dans domaine public les
anciens titres de jeux vidéo, afin de laisser libre cours à leur
conservation par les collectionneurs et les institutions de
conservation. Sur ce point Alain Le Diberder a tenu à rendre hommage à
l'importance du travail réalisé par les associations, qui à titre
gracieux, agissent dans un cadre légal relatif et risqué, pour
sauvegarder un patrimoine commun. "Il faudrait que ces associations
soient subventionnées, car elles font un travail d'utilité publique" a
t-il déclaré. Les collectionneurs, dont certains fort éminents n'étaient
pas présents à cette journée, auront peut-être une chance à saisir en
prenant cette balle au bond.
Le 18 novembre 2002
15:35 Publié dans Game Theory | Lien permanent | Commentaires (0) | Envoyer cette note | Tags : Jeu vidéo, retrogaming, atari, intellivision
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